(56) Entretien avec Gilbert COQALANE –

Revue de Paris : Que veut dire ACAB ?

Gilbert Coqalane : C’est important de faire de la médiation concernant ce mot parce que dans les circuits traditionnels, institutionnels, ce sont des choses qu’on ne transmet pas, c’est donc, à nous de la faire. ACAB à l’origine signifie All cops are bastard, tous les flics sont des bâtards (salauds). Ce terme est apparu dans les prisons anglaises entre la première et la deuxième guerre mondiale. C’étaient des prisonniers qui écrivaient ACAB telles des inscriptions vernaculaires pour questionner l’autorité.

RDP : Mais il y a d’autres interprétations, plus récentes

GC : ACAB a évolué dans le temps, selon les luttes, selon les pays. Maintenant on peut voir par exemple All Colors are Beautiful pour Anti racial, Are clitoris pour les mouvements féministes. Et même dans l’équivalent oppositionnel, effectivement, les forces de l’ordre ont utilisé All cops are Brothers. ACAB a été popularisé pendant les manifestations dans les années 1980 en Angleterre dans l’industrie minière, par les mineurs anglais pendant les mandats de Margaret Thatcher et ses réformes libérales. Les mineurs se sont opposés aux réformes et ont subi une forte répression. Ils ont tagué partout, All cops are bastards et désormais cela s’est répandu dans le monde entier. On peut avoir d’autres équivalents, en France cela peut être le terme Mort aux vaches. Pendant la guerre de 1870 qui opposait l’Allemagne et la France. Sur la ligne de frontière il y avait les tours de guets, dessus c’était indiqué WACHES, qui veut dire guet ou gardien. Ce mot étranger s’est ensuite transformé phonétiquement en VACHES puis en lien avec l’ennemi Mort aux vaches. Donc aucun rapport avec l’animal. Mort aux vaches était devenu une expression qui signifiait « contre les ennemis », « contre les allemands ». Ça été repris ensuite et Mort aux vaches était devenue une expression anti-autorité, anti-institution, tout comme ACAB d’ailleurs. La représentation graphique de Mort aux vaches est constituée de trois points noirs généralement tatoués entre le pouce et l’index.

RDP : Qu’est-ce qu’une perturbation ?

GC : Il peut y avoir plusieurs interprétations selon les personnes. Selon le perturbationisme, cela peut prendre plusieurs formes. C’est tout simplement un événement, un geste, un mot ou une action quelconque d’un perturbationiste entrepris dans l’espace public pour avoir des réactions. Un ensemble de perturbations désigne une offensive artistique. L’objectif d’une offensive artistique c’est d’amener des résultats dans la réalité, dans l’espace public.

RDP : Des changements ?

GC : Oui des changements des routines, des modes d’emploi, des lois, des perceptions parfois mais en essayant d’avoir quelque chose de tangible.

RDP : Ton statut est artiste invisuel urbain ? Tu vise à transformer les choses concrètement ?

GC : Effectivement le mouvement perturbationiste est de genre art invisuel, c’est le premier mouvement d’art invisuel, lancé officiellement le premier nombre 2021 à Nancy. Le perturbationisme possède des liens forts avec l’art urbain, l’art dans l’espace public. L’objectif principal est d’appréhender la réalité et d’essayer de la modifier par le biais de la perturbation.

RDP : Donc tu appliques l’art invisuel à l’espace urbain.

GC : Effectivement. On hérite, on récupère l’histoire de l’art urbain, ses pratiques, ses codes, ses préceptes, ses interdits et son évolution artistique. La dernière nouveauté dans l’histoire de l’art urbain c’est justement en 2021 l’arrivée du perturbationisme qui apporte une nouvelle dynamique dans l’art urbain.

RDP : Tu travailles seul ?

GC : Non, en mouvement.

RDP : Alors pourquoi cette perturbation s’appelle ACAB ?

GC : Pour plusieurs raisons. Il y avait cette thématique de la violence de la police. A ne pas confondre avec la violence policière. C’est une nuance importante pour moi. La violence de la police est une violence institutionnelle qu’elle impose. Violence policière c’est le fait de quelques individus qui dérogent aux règles et à certaines pratiques. Mais pour moi elles sont instituées, cad dire que par le fait qu’elles ne sont pas punies ou si peu, elles font partie de l’institution, comme si c’était quelque chose de normal. On va plutôt critiquer la violence de la police plutôt que la violence policière.

Et puis effectivement dans l’art urbain il y avait cette question d’une signature qu’on voulait apporter à l’art urbain où il a l’omniprésence de certaines pratiques et d’autres plus dissidentes qui ne sont pas évoquées, invisibilisées et réprimées. L’art urbain est en cours d’institutionnalisation assez forte, de pénétration dans les collections de patrimoine. Ça peut être une bonne chose mais de fait doit s’enclencher une défense de certaines valeurs de l’art urbain ou certaines positions de l’art urbain comme ACAB. On ne verra pas une exposition ACAB qui rappelle de facto son historique et sa critique institutionnelle dans une institution importante en France. Cependant ce mot fait partie de la culture de l’art urbain, dans l’espace public vous verrez énormément de tags ACAB ou de 1312 son équivalent numérique. A chaque fois qu’il y a des mouvements sociaux, que ce soit lors des gilets jaunes, de la réforme des retraites, de la mort de Georges Floyd, tous les morts de la police, les mouvements écologiques. A chaque fois on constate ce signe dans l’espace public.

RDP : En quoi consiste concrètement la perturbation ACAB ?

GC : La perturbation ACAB part du développement du tag invisuel que j’avais pu expérimenter il y a quelques années, un peu plus au début de l’année dernière dans une institution culturelle cette fois ci, ou j’ai tagué une toile d’un grand maître qui s’appelle Emile Fiant au Musée des beaux-arts de Nancy en l’honneur de Louis Lasègue, le premier condamné pour graffiti en France en 1877. J’ai donc tagué ce célèbre tableau intitulé La Toussaint de façon invisuelle avec « Gloire à Louis Lasègue ». Ensuite après avoir éprouvé les institutions culturelles j’ai voulu tester d’autres institutions telles que l’institution policière / judiciaire dans cette perturbation. Pour cette raison, on a choisi ce territoire parce qu’il est aussi question de territoire, d’appropriation de l’espace public. Je me suis dirigé vers le commissariat de Nancy et sans aucun matériel j’ai tagué ACAB sur la façade de ce commissariat. Je me suis fait interpellé par la police. Et là commence effectivement la perturbation avec tout ce qui va suivre après, qui actionne de fait « la peinture », cette matière qu’on peut appeler perturbationiste. Après l’interpellation, les policiers m’ont questionné sur ce que je faisais. J’ai répondu dans un contexte artistique que j’ai fait un tag ACAB sur la façade du commissariat. Il n’y avait aucune matière habituelle, la matière était autre. Il y avait deux scénaris qui s’offraient à cette perturbation. Un, la garde à vue, procès, amende. Qui pour moi était un scénario privilégié au vu des circonstances et confirmé lors de mes entrevues avec mes avocates. Et 2, qui était celui de me relâcher sans aucune poursuite, ce qui crée le terreau fertile pour une jurisprudence permettant d’écrire ACAB sans être inquiété sur un commissariat, ce qui laisse une possibilité juridique de continuer, d’expérimenter la tag invisuel.

RDP : Quand on pense tag on pense a priori à quelque chose qui va à l’encontre de la société. Est-ce que la perturbation est anti sociale ?

GC : Non, au contraire. La perturbation est très sociale. Le sujet de fond porte sur l’abolitionnisme, penser les institutions, pas seulement la police et la justice, remettre en question les institutions et leur mode de fonctionnement. A la base la perturbation est aussi un mouvement de la pensée. En termes d’abolitionnisme on peut citer notamment, un exemple connu et récent en France : en 1981 au début du mandat de François Mitterrand, l’abolition de la peine de mort est une application de l’abolitionnisme. Cependant, Il y existe plein d’autres façons de le concevoir et de l’interpréter. Avec cette perturbation, ce qui est évoqué c’est l’impossibilité d’une rencontre sereine, sans violences avec l’institution de la police, cela peut se matérialiser dès le contrôle d’identité et je souhaite défendre l’idée de l’abolition du contrôle d’identité.

Le controle d’identité, qui contrairement à la peine de mort, est quotidienne, routinière, très ancré dans la société et qui pour moi et selon des études provoque de la violence. Que ce soit de la violence symbolique par l’arrêt du sujet en mouvement. Cela enfreint la liberté de circuler des citoyens et ça peut aller jusqu’à la mort, jusqu’à l’homicide comme on l’a vue avec la mort de Nahel en juin dernier. Ces homicides sont fréquents comme on peut le constater dans les médias. La question que j’ai voulu induire c’est « à quoi sert un contrôle d’identité ? », « pourquoi la police effectue ces contrôles d’identité ? ». Quand on réfléchit, cela est un ciblage, un ciblage des corps de certaines personnes, de certains territoires, de certaines classes sociales. Si on est contrôlé, l’oppression s’applique à nous. Si on ne l’est pas, cela veut dire que l’oppression s’applique à d’autres personnes. Inévitablement. Si nous n’avons pas de problèmes lors des contrôles d’identité et que d’autres en ont, on laisse la possibilité de décharger la violence d’État sur d’autres individus. Je m’oppose au contrôle d’identité, qui est inefficace en termes de sécurité, dont l’unique raison est d’agir sur le sentiment de sécurité. Mourir pour des petits délits qui sont amendables, nous ne pouvons pas dire que cela soit une réussite.

RDP : Si la perturbation est sociale, est-ce que le CDRAO incite les autres à perturber ?

GC : Oui et clairement. La perturbation fait partie de l’humanité. La finalité est de transformer l’image de la perturbation. On pense que la perturbation est quelque chose qu’on subit ou qui est néfaste, or il y a d’autres regards à avoir sur cette notion. Le but du CDRAO est de documenter, de rechercher et d’appliquer des perturbations, d’en faire une matière artistique mais aussi une matière qui est aussi opérante dans la société, dans la réalité. De nombreuses personnes sont perturbationistes et appliquent la perturbation dans leur quotidien. Ça peut être une fois par jour, une fois par semaine, une fois de temps en temps, une fois dans leur vie. Le CDRAO développe la perturbation, savoir comment on l’a défini, comment on la classe. Son but est de perturber un ordre établi pour en créer un nouvel ordre. La perturbation permet de mettre la société en mouvement, en action. Plutôt que de la laisser dans un immobilisme.

RDP : La perturbation est la garante de la vivacité d’une société ?

GC : Effectivement

RDP : La perturbation à une fonction critique alors

GC : Inévitablement. Une perturbation est systématiquement critique, parce qu’elle vient critiquer l’ordre établi, le rythme actuel, une opinion ou autre. Quand on constate une perturbation dans l’espace public, elle est forcément critique. Ensuite, elle est critiquable elle-même. On le voit constamment dans l’espace public, sur la tranche sociétale, particulièrement. Cela permet d’avoir une accélération, une prise de position. Et éventuellement, l’avènement d’un nouvel ordre établi.

RDP : Est-ce que la perturbation a des antécédents historiques ? Elle s’inscrit dans une histoire ?

GC : La perturbation a deux histoires. D’une part sa tranche sociétale, comme je le disais précédemment, elle fait partie de l’histoire de l’humanité. On peut remonter cette histoire sur une très grande temporalité. On peut d’ailleurs trouver de la perturbation, la documenter chez les animaux par exemple. Dans le mouvement perturbationiste, on s’inclut dans cette logique ou les animaux peuvent perturber l’ordre établi et leurs milieux.

RDP : Tu dis que lors de la perturbation ACAB tu as inventé l’institutionisme. Qu’est-ce que c’est ?

GC : En tant qu’artiste urbain on a cette culture du vandalisme qui a une histoire. Le vandalisme vient des Vandales, un peuple ancien. J’ai cherché l’origine de ce mot, c’est l’Abbé Grégoire, un lorrain comme moi, qui a créé le vandalisme « pour faire taire la chose », je le cite. Après la révolution. Mais le mot vandalisme n’avait pas d’antagonisme, son contraire. Un acte de vandalisme désigne un acte de dégradation d’un bien privé ou public par un individu. Mais une institution peut aussi dégrader quelque chose, un bien public ou privé. On le voit bien aujourd’hui avec les hôpitaux que c’est l’institution qui dégrade un bien public. Un graffeur pourrait graffer un hôpital et être considéré comme quelqu’un qui commet un acte de vandalisme. Mais on ne va pas questionner ce qui se dégrade à l’intérieur fait par une institution et non pas par un individu. Là, nous sommes au début de la documentation et du développement de cette réalité. Potentiellement il peut y avoir énormément d’actes d’institutionisme. Pour revenir à l’histoire de la perturbation. La deuxième facette de l’histoire de la perturbation est dans une logique artistique, c’est celle qui nous intéresse. Nous sommes dans la continuité de l’histoire artistique de la perturbation. On peut avoir une filiation avec l’art urbain, avec les situationnistes, avec le minimalisme, avec le dadaïsme. L’objectif c’est de rendre plus complexe la pensée et les actions qui ont pu être faites auparavant. Ce terme d’institutionisme* est un recadrage sémantique opérant. D’ailleurs l’acte de vandalisme répond souvent à un acte d’institutionisme.

(NB: volontairement avec un seul N)

RDP : L’institutionisme est donc l’institution qui dégrade l’institution. Ce qui pose problème ce que le citoyen ne perçoit cela comme anormal, or que c’est anormal.

GC : Exactement. D’institution à institution. Mais on peut voir aussi des actes d’institutionisme face à des personnes. Quand la police tue quelqu’un dans l’espace public, en plus d’un homicide, c’est un acte d’institutionisme parce que les valeurs de la police qui sont protéger et servir, ne sont pas respectés. On tue quelqu’un. Par conséquent on est à l’opposé des valeurs de l’institution. Là aussi c’est un acte d’institutionisme.

RDP : Qu’est-ce que l’outil Cornécourt ?

GC : C’est un outil qui aide au développement de la perturbation. Actuellement le CDRAO possède 21 outils perturbationistes pour orienter et augmenter les perturbations. L’outil Cornécourt est le numéro 13. Il a été déployé après la perturbation ACAB. Là, il est en cours de déploiement. Il est utilisé pour le brouillage géographique de la perturbation. Le tag invisuel s’est réalisé à Nancy et le but est de le faire parcourir sur d’autres territoires. L’outil peut être basé sur le jeu phonétique par exemple. On est parti sur la phonétique de Nancy et à travers l’outil Cornécourt on a trouvé Drancy, Montmorency, Torcy, Annecy et en fin de compte on fait croire ou on travaille sur cette croyance sur le fait que le tag est passé aussi dans ces villes-là. Vu que grâce au tag invisuel on n’a pas besoin de matière ni de se déplacer, on peut utiliser la rumeur et la croyance, sur le mensonge pour diffuser le tag invisuel. Ce matin j’étais en discussion par exemple avec la Mairie d’Annecy au sujet de ce tag alors que je ne suis jamais allé en tout cas pas récemment à Annecy.

RDP : Tu disais que le tag invisuel c’est ce qui est là mais qui n’est pas là. Tout comme les violences policières.

GC : Oui effectivement, un peu comme le principe de l’art invisuel qui dit qu’invisuel ne veut pas dire invisible. ACAB n’était pas invisible, cette perturbation a pu avoir un écho conséquent, beaucoup de personnes en parlent. Nous travaillons sur ces questions : vu, pas vu, image, pas d’image. On peut le voir pour le tag invisuel il y a eu une relaxe, des charges et dans la police quand il y a un homicide, quand il n’y a pas de visuel, ça aide également à une relaxe. Ça veut dire que la matérialité a un impact sur la société.

RDP : Est-ce qu’on peut considérer que les policiers sont en quelque sorte des co-auteurs de ACAB ?

GC : Ce mot fait sens effectivement. Quand les policiers m’arrêtent c’est eux qui appuient sur la peinture. Et quand la presse arrive et utilise le mot ACAB, l’écriture est là, le tag est là et se répand de plus en plus. Il y a des rumeurs. Le fait de parler de ACAB fait partie du tag. Dès que le mot ACAB est prononcé c’est le tag.

RDP : Est-ce que le CDRAO peut donner aux policiers une sorte de document, contrat de co-auteur ou autre aux policiers ?

GC : Ce sera la suite. La perturbation ACAB fait partie de l’offensive institutionisme. Dans laquelle il y a plusieurs perturbations. Ce sera une autre perturbation qui s’appelle ACAB Family. Là, l’objectif, ce sera de créer une communauté de partage et de médiation de ce terme. Là on sera sur quelque chose de beaucoup plus collectif. Le tag invisuel est libre pour que chacun puisse l’utiliser. La perturbation ACAB au commissariat de Nancy n’est pas censée devenir un protocole. N’importe qui peut taguer. Mais pour ACAB Family il y aura un protocole accessible3.

RDP : Une autre notion qui a attiré mon attention est Sfumato Perturbato ? Qu’est-ce que c’est ?

GC : C’est quelque chose qui est important pour nous, qui est sérieux mais en même temps c’est traité avec impertinence. Quand on dit Sfumato Perturbato on a en face de nous Léonard de Vinci. J’ai repris ses principes. Le Sfumato est un trouble de la vision par le biais de la technique picturale qui permet ces notions de mouvement, d’étrangeté qui donne le sourire de la Joconde. Moi j’ai repéré le sfumato dans la réalité, par exemple les personnes que nous avons du mal à cerner. Ou alors certaines institutions que nous avons du mal à comprendre. Beaucoup de personnes utilisent le sfumato expressément pour plusieurs raisons, pour se protéger, pour brouiller des pistes, pour s’amuser. Et d’autres personnes l’utilisent artistiquement. Moi j’ai voulu le théoriser et l’adapter à la perturbation, ce qui devient dès lors la rumeur, le mensonge, la personnalité, les nombreuses identités. A un point où les gens ne savent plus si j’ai tagué ou pas, s’il y a de la matière ou pas. J’ai expliqué le sfumato aux policiers et qu’ils étaient dedans actuellement. Quand ils m’arrêtent pour graffiti et qu’ils voient que je n’ai pas de bombe de peinture, là les questions font partie intégrante du sfumato perturbato.

RDP : Puisque tu parles de Leonard de Vinci, est-ce qu’il y a des liens entre la perturbation et une action comme celle menée par les gens qui viennent de jeter de la soupe sur la Joconde au Louvre ?

GC : Cela fait partie des choses que nous documentons au CDRAO. Ce type d’action a un lien à l’art parce que la soupe a été jeté sur une œuvre d’art dans un musée d’art mais elle reste dans la tranche sociétale de la perturbation. Là on est dans un cas de figure où il y a un ordre établi à remettre en question qui est notre gestion de l’écologie, jeter de la soupe sur une œuvre d’art est une technique discutable, mais elle nous paraît importante dans la société.

RDP : Mais jeter de la soupe sur une peinture est inefficace or que la perturbation vise à une transformation concrète.

GC : Je pense que ces mouvements de soupe, il y a un travail de fond. On s’arrête généralement aux clivages pour ou contre dans les médias. Par exemple Dernière Rénovation devenue Riposte Alimentaire obtiennent des résultats (non médiatisés), prennent du temps de parole, occupent l’espace médiatique. Je ne suis pas sûr que ce soit si inefficace. Par exemple, la branche anglaise qui à jeté de la soupe sur un tableau de Velasquez récemment à Londres. Ce même tableau, il y 100 ans, les suffragettes ont activé une perturbation sur ce tableau. Elles ont fendu et détruit ce tableau à coups de hache. Le même tableau.

RDP : Je comprends mais cela n’a pas changé une loi.

GC : Mais si parce que maintenant quand on voit les résultats qu’on eut les suffragettes et qu’on glorifie 100 ans plus tard. Avec la soupe sur la vitre on est dans une demi-mesure, peut être que dans 100 ans les jeunes qui ont jeté de la soupe on va les considérer autrement et qu’on aura dû les écouter, on aura dû faire autrement pour l’écologie. Cela paraissait ridicule à l’époque mais ils avaient raison. Et c’est peut-être nous qui avons un défaut de perception. Parce qu’à l’époque des suffragettes, les femmes qui ont détruit ce tableau de Velasquez étaient taxées d’hystériques, de folles et qu’il fallait les emprisonner. On est sur la même logique mais avec 100 ans de différence.

RDP : Est-ce que le CDRAO peut avoir comme partenaires ces jeteuses de soupe ?

GC : Pas sûr parce qu’ils sont indépendants et eux sont dans la tranche sociétale et nous dans la tranche artistique. Dans tous les cas, les perturbations viennent de partout. Nous le CDRAO on a pour but de documenter et c’est une lourde mission. Ensuite c’est de créer entre guillemets la théorie et la pratique pour pouvoir insuffler d’autres perturbations dans d’autres domaines pour étudier le perturbationisme, l’analyser et l’appliquer.

RDP : Tu as utilisé plusieurs mots qui ne sont pas très communs. Il y a un glossaire perturbationiste ?

GC : Il y a un glossaire disponible sur le site du CDRAO. Il y le perturbationisme, les perturbationistes, les perturbaphobes…

RDP : Mais il y a des nouveaux termes qui apparaissent, ça se complexifie de plus en plus.

GC : Effectivement, c’est normal parce que nous sommes dans une démarche de création, la création commence dès le début par la terminologie. La terminologie, la théorie est en constante évolution. Ce qu’on a fait avant on le remet en question et on va plus loin. Par exemple l’outil Cornécourt a été mis au point en octobre et là il a été éprouvé une première fois.

RDP : Il y une relation entre ACAB et les libertés individuelles ? C’est important la liberté individuelle ?

GC : Avec ACAB je travaille sur la surveillance et les caméras de surveillance qui est une thématique récurrente importante. Quand j’ai réalisé le tag ACAB je savais que j’allais être filmé par les caméras de surveillance, sur mon trajet j’ai été filmé par plusieurs caméras. Par exemple, pour mettre ma tenue du tag, je me suis habillé dans un centre de lavage Éléphant Bleu volontairement parce que je savais que j’avais besoin d’être filmé. Là je travaille sur des procédures administratives et comme le droit me le permet, je peux détruire ou récupérer ou consulter ces vues par les caméras. Mais je souhaite jouir de mes droits et on se rend compte rapidement que c’est presque impossible d’utiliser mes droits. Eux ont le droit de nous filmer mais nous, nous n’avons pas le droit d’avoir ces images. Actuellement je suis en procédure pour faire valoir mes droits sur les séquences où j’ai été filmé par les caméras de l’éléphant Bleu et celles de la ville de Nancy. J’ai suivi à la lettre chaque procédure mais pour l’instant je n’ai pas accès à ces films et à mes images.

RDP : ACAB est toujours en cours ? A quel moment la perturbation prend fin ?

GC : ACAB a commencé le 25 janvier 2024 et est en cours, cela va durer longtemps, nous travaillons sur des longues temporalités surtout que la perturbation mêle vie et art. Il peut y avoir de nombreux protagonistes, interlocuteurs, des nombreux rebondissements. Une perturbation peut durer plusieurs années voire une vie entière.

RDP : Est-ce que d’autres personnes peuvent participer aux actions du CDRAO ?

GC : Le but du jeu c’est développer le tag invisuel. On sait que c’est une matière artistique qui est encore à développer. Nous on va avoir des idées à l’avenir mais si d’autres personnes, artistes ou pas, ont la possibilité développer le tag invisuel, au contraire, c’est désiré et libre de droits.

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